jeudi 22 avril 2010

Des nouvelles des Brésiliens


On réédite Os Cangaceiros. Les trois numéros de cette revue sont également disponibles sur le site de Basse Intensité. De même, on pourra y lire (ou relire) les quatre numéros, devenus introuvables, des Fossoyeurs du Vieux Monde.
On sait que les situationnistes se proposaient de faire passer l'agressivité des blousons noirs sur le plan des idées. C'est aux Fossoyeurs du Vieux Monde qu'il revint, avec le plus de conséquence, de réaliser ce projet (« et réciproquement nous avons appliqué quelques idées sur le plan de l’agressivité », ajoutèrent-ils).
Issu en partie des Fossoyeurs du Vieux Monde, le groupe Os Cangaceiros a su exprimer des positions radicales et leur donner une réalité scandaleuse (« Notre programme est très ancien : vivre sans temps morts. Nous comptons bien sûr lui assurer sa publicité par le scandale »). L'emploi critique de la violence a évité aux Cangaceiros la récupération inhérente au terrorisme spectaculaire (« le terrorisme est la poursuite de la politique par d’autres moyens » écrivaient ceux dont toute l’activité était une critique de la politique). Si les ANPE, le syndicalisme, et les architectes policiers ont servi à vérifier leur critique du travail, de l’idéologie et de l’urbanisme, c'est en volant des plans de prison, en sabotant les chantiers de construction de 13 000 nouvelles places de prison et en rossant un architecte spécialisé qu'ils ont poussé au paroxysme leur défi à l’encontre de l'histoire figée de la société spectaculaire. « La liberté, c’est le crime qui contient tous les crimes », disait un de leurs textes en juin 1985, à l’époque de la mutinerie de Fleury-Mérogis (c’était peu après la mort suspecte de Bruno Sulak, vraisemblablement un assassinat par les matons maquillé en accident).
Si les Cangaceiros ont disparu au début des années 90, ils ont laissé le vivifiant souvenir d'un groupe aussi proche de Marx que de Hegel et aussi loin d'Action directe que des Brigades rouges. A notre connaissance, c'est dans les banlieues françaises que cette réédition pourrait trouver, pour le moment, ses meilleurs lecteurs. Les jeunes prolétaires des cités, qui peuvent être donnés en exemple aux révoltés de tous les pays, pour leur lucide refus du travail, leur mépris de la loi et de tous les partis étatistes, connaissent assez bien le sujet par la pratique pour pouvoir tirer profit des textes de Os Cangaceiros.

lundi 12 avril 2010

Salut, les artistes!


La mort de Malcolm McLaren a été l'occasion d'un bruyant concert d'éloges posthumes venant des médias les plus variés (le représentatif Stéphane Davet salue dans Le Monde « l'imprésario, homme d'affaires, créateur de mode, producteur de musique », « manipulateur, provocateur et souvent visionnaire »). Quelques-uns ont su reconnaître en McLaren, rebelle de la mode (à moins que ce ne soit le contraire), mariant efficacement les affaires de l'art et l'art des affaires, un artiste de notre temps (un « visionnaire génial », disait de lui son ami Jean-Charles de Castelbajac). Et comme presque tous les journalistes sont, eux aussi, à notre époque, des artistes à leur façon spéciale, certains ont célébré en McLaren un de leurs pairs (Slate s'extasie sur « le camelot magnifique »).
McLaren avait fait passer un peu de situationnisme dans la culture pop. « C’est merveilleux d’utiliser le situationnisme dans le rock’n'roll », se félicita-t-il un jour, en songeant sans doute combien il était profitable de « faire du cash avec le chaos ». Il pensait en somme être là pour réussir de bonnes affaires; il ne doutait même pas de leur agrément. Prenant à la lettre le mot du Vieux de la montagne, « rien n'est vrai tout est permis », il le mit en application. L'adaptant aux moeurs du temps, il fit de l'arnaque son fonds de commerce (ce qui se traduit en anglais par « the great rock 'n' roll swindle »).
La provocation, comme la mythomanie, est condamnée à une inflation perpétuelle pour tenir en haleine un public blasé. C'est ainsi que McLaren en vint à pimenter son situationnisme par une révélation tardive. Attendant prudemment que le cadavre de Guy Debord fût refroidi, il confia à un journaliste en 2000 :

« When I helped put 'God save the Queen' on number one and had it banned from the radio at the same time, Guy Debord called me up on the telephone - I've never spoken to him in my life - and he said: 'Thank you very much for getting my record to number one!' As far as he was concerned he owned that record and he owned that idea. And I thought, brilliantly audacious and truely wonderful and I never forgot it. I agree with him, it was his idea, yes! »

Pour rendre justice instantanément à ce canular, dont certains se sont complaisamment fait l'écho, il suffit de rappeler que Guy Debord tenait la tentative de couper la critique situationniste avec du punk pour un mélange toxique. Il écrivait à Jean-François Martos à propos de Lipstick Traces : « Tu conclus bien sur l'overdose de confusionnisme dans le Marcus ».
McLaren vient donc de disparaître, et Johnny Rotten n’est pas encore parti le retrouver. Voilà que le cancer a été le plus fort, et qu’il emporte un récupérateur, plein d'astuce et de ressources, qui se perd, qui se dissout parmi nos multiples souvenirs.