samedi 19 décembre 2009

16. Gladio : La guerre secrète des Etats-Unis pour subvertir la démocratie italienne (les racines de Gladio)


LES RACINES DE GLADIO

Les politiques qui devaient être élaborées au sein de Gladio virent le jour pendant la seconde guerre mondiale, quand les phobies anticommunistes américaines se combinèrent avec les peurs géopolitiques d'une URSS victorieuse pour déclarer une guerre sainte contre la gauche. Le sentiment selon lequel « la fin justifie les moyens » à l'intérieur du gouvernement américain, et plus particulièrement de l'Office of Strategic Services (OSS), encouragea la création de programmes « Stay Behind » à travers l'Europe occidentale, officiellement en tant que première ligne de défense en cas d'invasion soviétique.
Mais la préoccupation principale était liée à la politique intérieure. La grande peur des Américains au sujet de l'Italie était que les partisans communistes qui combattaient au Nord ne rejoignissent les organisations ouvrières pour porter la gauche au pouvoir. L'OSS et ses successeurs étaient apparemment préparés à prendre n'importe quelle mesure pour prévenir cet évènement, y compris l'assassinat politique, le terrorisme, et des alliances avec le crime organisé. Selon un mémorandum de l'OSS à Washington, les Etats-Unis semblaient soutenir un plan monarchiste qui consistait à se servir de « tueurs fascistes » pour commettre des actes de terreur et en rejeter la responsabilité sur la gauche [OSS Memorandum 99642, 24 octobre 1944.]. L'engagement américain dans la politique italienne commença en 1942, quand l'OSS fit pression avec succès sur le ministère de la justice pour faire libérer de prison le gangster Charles « Lucky » Luciano. En échange de sa libération anticipée, Luciano accepta de nouer des contacts avec ses copains de la Mafia pour faciliter l'accès à l'invasion américaine de la Sicile en 1943 [U.S. Senate Special Committee, Hearings on Organized Crime, Part. 2, 1951, p. 1181.].
L'accord passé par Luciano forgea une alliance à long terme entre les Etats-Unis et la Mafia internationale. Il jeta les bases d'une coopération entre les services secrets américains et des organisations criminelles internationales impliquées dans les trafics d'armes et de drogues. Le parrain de l'accord était Earl Brennan, chef de l'OSS pour l'Italie. Avant la guerre, il avait servi à l'ambassade des Etats-Unis, utilisant sa couverture diplomatique pour établir des contacts avec la police secrète de Mussolini et des fascistes haut placés [R. Faenza et M. Fini, Gli Americani in Italia (Milan, Feltrinelli, 1976), p. 8].
L'Eglise catholique coopéra aussi. Les liens américains avec le Vatican étaient déjà substantiels ; et l'un des liens les plus forts était une fraternité secrète, l'Ordre Militaire Souverain de Malte basé à Rome, et qui remonte à la première croisade. Le dirigeant de l'OSS William « Wild Bill » Donovan en était membre. De même d'autres officiels américains de haut rang, y compris Myron Taylor, envoyé américain au Vatican de 1939 à 1950, et William Casey, un espion de l'OSS qui parvint à la tête de la CIA sous Reagan. Le chef de l'OSS pour l'Italie, Brennan, eut des contacts dès 1942 avec le sous-secrétaire d'Etat du Vatican, Gian Battista Montini, qui devint le pape Paul VI en 1963 [Frédéric Laurent, L'Orchestre Noir (Paris, Editions Stock, 1978), p. 29, cité par Françoise Hervet, « Knights of Darkness : The Sovereign Military Order of Malta », CovertAction, N° 25, p. 31.].
L'un des éminents espions de l'OSS était James Jesus Angleton, qui deviendra le légendaire et paranoïaque chef du contre-espionnage de la CIA. Angleton s'appuya sur des relations familiales et d'affaires en Italie, pour jeter les bases de Gladio, en formant et en finançant un réseau clandestin d'Italiens d'extrême droite qui partageaient son style féroce, enthousiaste et naïf [David Wise, Molehunt (New York Random House, 1992), p. 40.]. Les groupes paramilitaires étaient remplis d'anticommunistes fervents prêts à entrer en guerre contre la gauche. Il aida aussi des criminels de masse nazis/fascistes tels que Junio Valerio Borghese, le Prince Noir ; il échappa à la justice à la fin de la guerre [Peter Tompkins, Mondo's Men, manuscrit inédit.].
Les officiels américains s'inquiétaient de ce que les communistes et les socialistes pussent joindre leurs forces après la bataille. La prise de pouvoir communiste en Tchécoslovaquie en 1948 augmenta leurs craintes. En conséquence, les Etats-Unis fabriquèrent différents plans pour manipuler la politique italienne. Angleton, qui à la fin de 1948 avait été promu assistant spécial du directeur de la CIA, l'amiral Roscoe Hillenkoetter, utilisa les 20 000 comités civiques du Vatican pour mener une guerre psychologique contre les influences communistes, en particulier dans les syndicats [State Department Memorandum n° 866 5043, 16 septembre 1948, cité par Faenza et Fini, op. cit., p. 320.].
Le National Security Council (NSC), qui venait d'être créé, entra également en lice : « Si le Parti communiste gagne l'élection [1948] », conseilla le NSC, « une telle agression devrait immédiatement être contrecarrée par étapes pour étendre la disposition stratégique des forces armées américaines en Italie. » [National Security Council Order 1/1, 14 novembre 1947.] Les communistes ne remportèrent pas cette élection essentielle (pas davantage qu'aucune de celles qui suivirent). Mais cela ne mit pas un frein à la tentative américaine de détruire la gauche. Le coût total de ces activités (et de divers programmes d'aide) pour les contribuables américains s'éleva à 4 milliards de dollars de la fin de la guerre à 1953 [U.S. Joint Chiefs of Staff Memorandum, 14 mars 1952, cité par Willems, op. cit., p. 80, note 21.]. Et ce n'était que le début de l'assaut américain contre la souveraineté italienne.

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